Saisir la langue et libérer les mots : écrivains et écrivaines d’expression française
La littérature de langue française est pleine d'écrivains qui sont venus d'ailleurs. Les premiers entre eux, les nomades et les explorateurs, attirés par la culture ouverte de la France et inspirés par ses valeurs de la liberté, ont eu l’esprit d’aventure, toujours prêt à la recherche de nouvelles idées.
On a commencé de jouer avec sa propre identité qui pourrait être changée plusieurs fois – dans la manière carrément réussi dans les « Mémoires » de Giacomo Casanova. Le monde des Lumières était également impressionné par « Le Manuscrit trouvé à Saragosse » de Jan Potocki ; son expérience de la frontière et la fascination de l'itinéraire imprévisible vers le monde totalement inconnu a créé une narration où le temps réel est mélangé au temps imaginaire.
«Écrire dans une langue étrangère est une émancipation. C'est se libérer de son propre passé» disait Cioran. Lui, comme Eugène Ionesco, Milan Kundera, Shan Sa ou Hector Bianciotti, a réussi à le faire. Ecrire dans la langue de l’autre paraît presque provocateur. Un Français de souche, avec ses goûts et dégoûts littéraires pourrait peut-être se méfier des textes écrits en français par des écrivains qui sont issus d’autres pays.
Et pourtant, Paris est devenu la ville des lettres et la destination principale pour les artistes du monde entier. Inévitablement, la palette d’expressions littéraires s’élargit ; les voix d'ailleurs sont de plus en plus nombreuses et fortes : Samuel Beckett et Gao Xingjian - pièces théâtrales, François Cheng et Salah Stétié - poésie et traduction, Andrei Makine et Atiq Rahimi - romans, Nancy Huston, Jonathan Littell et Anna Moï – nouvelles et romans. Tout perd son exotisme et attire de nouveaux lecteurs.
Plusieurs écrivains se trouvent parmi les personnes que les guerres, les génocides et les dictatures ont chassés de chez eux. Pénible et horrifiant, l’exil néanmoins les a poussés à témoigner de la vérité pour la première fois. Pour Marek Halter, juif polonais rescapé du ghetto de Varsovie, le choix était clair - « j’ai appris la liberté avec le français. » L’attitude partagée avec Jorge Semprun, qui en changeant de langue, a trouvé l’outil précis et objectif qui lui a permis d’examiner la réalité du régime franquiste et du camp de concentration. Amin Maalouf, exilé du Liban, tient à ses origines méditerranéennes et plurielles, explorant de multiples passages de voyage pour montrer la complexité de l'identité culturelle d’un individu en constante évolution. D’autre part, Jean Malaquais a transposé son vagabondage de l'apatride dans « Journal de métèque » et la réalité de gens marginalisés dans l’argot de « Les Javanais » et dans l’amère ironie de « Planète sans visa. »
Très particulière et complexe, la littérature francophone du Maghreb souvent coexiste avec la culture et la langue arabe. Et pourtant, écrire dans la langue de l’autre pourrait devenir une source de déchirement. Kateb Yacine, après le massacre de Sétif, a adopté la langue étrangère coloniale pour s’exprimer dans les deux langues – « j'écris en français pour dire aux français que je ne suis pas français. » Par contre, Abdellatif Laâbi, considéré par le régime comme incorrectement engagé parce qu’il a participé au développement de l’intelligentsia marocaine de gauche, a été forcé de quitter son pays. Malgré ses combats contre l’administration coloniale et son expulsion d’Algérie, Mohammed Dib, lui, a continué d’écrire en français pendant son exil, conscient d’une ambiguïté: « je parle une autre langue : qui suis-je ? » Contrairement à eux, Boualem Sansal ne s’exile pas, mais s’oppose vigoureusement au régime d’aujourd’hui et au terrorisme.
A présent on choisit souvent le français pour répondre aux besoins existentiels : « L'écrivain est un homme solitaire. Son territoire est celui de la blessure : celle infligée aux hommes dépossédés » d’après Tahar Ben Jelloun. Parfois, on était bousculé : « Je n'ai pas choisi. Je voulais écrire. En russe, en chinois, en arabe. Mais écrire! Au départ, j'écrivais en arabe. Mon prof d'arabe m'a bafoué, alors que mon prof de français m'a encouragé. » (Yasmina Khadra). Pour Vénus Khoury-Ghata la diversité méditerranéenne est essentielle : « J’écris en français, mais dans un français fortement mâtiné d’arabe. J’ai apporté dans mon cabas des épices et des condiments de ma langue maternelle et je les verse au fur et à mesure dans mes pages en français pour leur donner plus de saveur »
Les écrivaines maghrébines Assia Djebar et Leïla Sebbar explorent la féminité et rejettent les stéréotypes culturels de femmes en évoquant leur désir d’émancipation. La Nouvelle génération d'écrivaines, comme Saphia Azzeddine, va encore plus loin jusqu’au point d'être radicale pour exprimer sa sensibilité.
L'originalité des styles d'écritures dans les littératures africaines et antillaises est stupéfiante. Même si le passage de l’oral à l’écrit a dû se produire à travers la langue du colonisateur, les écrivains indigènes ont sauvegardé leur héritage, tout en nourrissant leur unique raison d’être. En conséquence, ils sont tous des écrivains d’expression française qui utilisent les mots comme « armes miraculeuses » (Aimé Cesaire).
Avec Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontron Damas, engagés dans le combat contre la colonisation, Cesaire a créé un mouvement de libération culturelle et politique - la Négritude. « Il nous fallait d’abord nous débarrasser de nos vêtements d’emprunt, ceux de l’assimilation, et affirmer notre être, c’est-à-dire notre Négritude », disait Senghor. Un poète qui réclame son espace créatif, « L’Orphée noir » qui, d’après Jean-Paul Sartre – « insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de nègre qu’on lui a jeté comme une pierre. »
Les écrivains noirs ont absorbé spontanément des gestes des conteurs. On a partagé les paroles, on a circulé les récits mythiques, les devinettes et les chants à l'intérieur de la communauté pour qu’elle reste forte. Aujourd’hui les auteurs s'éloignent de l’exigence de la revendication identitaire. Par ailleurs, la diversité culturelle s’accentue chez les poètes et romanciers antillais. Patrick Chamoiseau explore les formes d’expression créoles, alors que Maryse Condé évoque des thèmes particuliers tels que les sexes et les races.
L’auteur africain s’interroge sur ses ambiguïtés et cherche l’expression artistique de sa propre identité. Alain Mabanckou : « Moi je voulais écrire non pas un livre qui fasse de la mythologie africaine, de la vente aux enchères, de l’exotisme facile, je voulais écrire un livre dans lequel l’individu est au centre» Cette façon de parler « je » commence l’aventure d’une écriture qui mène vers l’expérimentation du langage, très évidente dans les pièces théâtrales de Koffi Kwahulé. Chez lui les gestes des conteurs absorbent le jazz et le métissage universel.
Le Canada attire un grand nombre d’écrivains et écrivaines d’expression française. Cette diversité linguistique et raciale reflète la réalité de la composition culturelle du pays, en particulier dans les grandes villes. Il n’est pas donc étonnant de voir comment le public littéraire, qui se mondialise vite, avec les goûts littéraires variés et cosmopolites, reste très attentif aux écrits des autres.
Les témoignages sur l'immigration et la nouvelle vie transforment le récit personnel dans l'expérience universelle: « On débarque dans un pays. On y passe des années. On oublie tout ce qu’on a fait pour survivre. Des codes appris à la dure. Chaque mauvais moment annulé par la tendresse d’un inconnu. Un matin, on est du pays. On se retrouve dans la foule. Et là, brusquement, on croise un nouveau venu et tout remonte à la surface. » (Dany Laferrière)
L'écriture féminine regorge d’exemples de qualité : Vera Pollak, née à Bucarest, une traductrice et auteure ; Abla Farhoud, une romancière et dramaturge née au Liban ; Ying Chen, d’origine chinoise, gagnante de plusieurs prix littéraires ; et Aki Shimazaki, née au Japon, auteure de douze romans.
Les thèmes de la fuite, de l’exil et de l’asile sont dominants chez Kim Thúy ; écrire reste une forme de voyage intérieure pour explorer sa mémoire du pays d’origine et retrouver son identité personnel et littéraire d’aujourd’hui. « Je dirais plutôt la richesse de l'exil et d'avoir deux cultures. Je ne serais pas celle que je suis sans cela. Mon objectif est d'écrire la beauté, j'écris juste pour ça. Je veux montrer que parfois, quand on est née quelque part, on ne réalise pas comment c'est beau. »
L’écriture au féminin est omniprésente chez Torontoise Marguerite Andersen. Dans « Le figuier sur le toit » elle examine la double identité qui ne peut qu’osciller entre d’extrêmes univers et confronte les lectrices avec des questions qui accentuent les inquiétudes quotidiennes. Fascinée par le vagabondage d’esprit et de la pensée, Andersen mélange la fiction et l’autobiographie en donnant la voix aux femmes de plusieurs générations. « De mémoire de femme » et « La vie devant elles » intriguent grâce à l’abondance des techniques narratives qui soulignent toutes sortes de nuances existentielles.
Le cas de Robert Dickson est très particulier, car il s’agit de quelqu’un qui s’est séparé de la langue de la majorité et a choisi la langue française pour devenir un poète franco-ontarien. La situation de poète de la langue minoritaire a stimulé l’expression poétique de Dickson et l’a poussé vers l’innovation artistique. Par les thèmes et par les lieux, sa poésie est profondément impliquée dans la sensibilité linguistique des gens d'ici :
Au nord de notre vie
ici
où la distance use les cœurs pleins
de la tendresse minerai de la
terre de pierre de forêts et de froid
nous
têtus souterrains et solidaires
lâchons nos cris rauques et rocheux
aux quatre vents
de l’avenir possible
Pour explorer le sujet des écrivaines et écrivains d'expression française veuillez ne pas hésiter à consulter nos collections. Vous pouvez également visitez le site de la Bibliothèque publique de Toronto pour trouver plus d'informations.
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